Le Brigand 518
La Compagnie de Jésus jusqu'en 1773
L’ordre des jésuites a été marqué par un développement fulgurant durant le premier siècle qui a suivi sa création. En 1556, année de la mort d’Ignace, la Compagnie comptait déjà un millier de membres; en 1640, ils étaient plus de 15 000.
En prenant la direction d’un collège publique de Messine, en Sicile, la Compagnie de Jésus est passée d’un ordre entièrement consacré à la spiritualité à un ordre engagé dans l’instruction. Ignace de Loyola – tout comme son successeur Diego Laínez (†1565) et Pierre Canisius (†1597) – voyait dans l’enseignement le moyen idéal de ranimer la pratique de la foi catholique. Le projet des jésuites était d’allier l’idéal humaniste à une formation englobant toutes les dimensions de l’humain et une éducation religieuse. Outre l’enseignement, la fondation des congrégations mariales et le théâtre ont tenu une place importante dans les premières activités des jésuites. Leur succès dans le domaine de l’instruction fut tel, qu’au milieu du XVIIe déjà, ils dirigeaient quelque 500 collèges à travers le monde.
Leurs collèges n’étaient pas seulement des lieux de formation. Parallèlement aux cours qu’ils dispensaient, les jésuites déployaient une énergie considérable à s’occuper des âmes par la prédication, les confessions, la catéchèse et les missions populaires. Ils contribuèrent aussi grandement à la mise en oeuvre des décisions de réforme du Concile de Trente, ainsi qu’au renouvellement de la piété populaire, notamment dans les pays où la Réforme protestante avait pris pied.
Comme jeune espagnol, Ignace a été marqué par la découverte de nouveaux pays et de cultures jusque-là inconnues. Le désir d’annoncer la Bonne Nouvelle à ces peuples étrangers devint progressivement le point central de sa vie. François-Xavier fut le premier à le réaliser dès 1540, lorsque le roi du Portugal l’envoya comme missionnaire en Inde. Son voyage le conduisit d’abord aux Moluques, puis au Japon. Il mourut en 1546 sur une petite île en face de la Chine. François-Xavier posa les fondements d’une nouvelle méthode missionnaire appelée accomodation. Au fil de ses rencontres avec les japonais, il avait pris conscience que la mentalité et la culture du pays méritaient d’être étudiées et reconnues à leur juste valeur. Les témoins et acteurs exceptionnels de cette nouvelle méthode s’appellent Roberto de Nobili (†1656) en Inde, Matteo Ricci (†1610) et Adam Schall von Bell (†1666) en Chine. La mission des jésuites en Chine, d’abord prometteuse, a été compromise par la querelle des Rites chinois. Alors que la majorité des jésuites en Chine voyaient dans le culte des ancêtres une simple pratique civile destinée à honorer les défunts, les missionnaires des ordres mendiants qui le jugeaient comme un rite religieux, obtinrent de Rome que les rites chinois soient déclarés inconciliables avec la foi chrétienne.
La suppression de la Compagnie en 1773
Au cours du XVIIIe siècle, la Compagnie de Jésus a dû faire face à toutes sortes d’hostilités en Europe. De toute évidence, l’élan créateur dont elle avait bénéficié durant le siècle précédent s’était essoufflé. Mais surtout, le XVIIIe siècle, marqué par l’apogée de l’absolutisme, avait ouvert la voie à une domination totale des souverains sur tous les domaines de l’Etat. Il s’agissait avant tout d’enrayer l’immunité des Eglises et l’influence directe du pape sur les Eglises locales. Un ordre comme la Compagnie de Jésus, directement soumis au pape, et qui ne se laissait enfermer dans aucune catégorie politique, représentait un obstacle manifeste, voire une véritable menace.
Désireuses de s’assurer le monopole de l’instruction, les autorités séculières «déclarèrent la guerre» aux écoles des jésuites. Jugées rétrogrades, leurs méthodes d’enseignement furent considérées comme un frein à une éducation novatrice. On leur reprochait de se référer trop à la philosophie d’Aristote et à la théologie thomiste et de manquer d’ouverture dans les sciences humaines et naturelles.
La Compagnie de Jésus se fit aussi des ennemis du côté des jansénistes, qui l’accusaient de laxisme, et de celui des Lumières, qui lui reprochaient son manque de recours à la raison. Les polémiques au sujet des réductions en Amérique latine furent la goutte qui fit déborder le vase. Les jésuites furent expulsés du Portugal en 1759, de France en 1764, d’Espagne et du Naples en 1767, de Parme en 1768. En 1773, cédant à la pression des Bourbons, le pape Clément XIV ordonna la suppression totale de l’ordre des Jésuites. Dossiers, lettres et documents comptables furent saisis, le Père Général et ses collaborateurs furent emprisonnés. Suivant les pays où ils vivaient, les jésuites connurent des destins divers: les uns furent expulsés, d’autres rejoignirent des communautés de prêtres séculiers et continuèrent à travailler comme par le passé.
En Russie, sur ordre de Catherine II, le Bref pontifical de suppression ne fut pas promulgué. L’impératrice alla jusqu’à confier aux jésuites la responsabilité de la minorité catholique en Biélorussie. Aussi limité que fut alors son champ d’action, l’ordre put continuer d’y œuvrer, avec la reconnaissance formelle du pape. Parallèlement, des communautés de clercs, de spiritualité ignatienne se développèrent dans toute l’Europe, certaines regroupant des anciens jésuites, d’autres constituant des congrégations à part entière.